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J'aime bien l'idée selon laquelle tout ce qui est à bord tombera en panne un jour ou l'autre, à commencer par l'alimentation électrique. Bref, vous trouverez sur ce blog quelques idées « minimalistes » pour naviguer confortablement avec un minimum de matériel et de moyens. Nos ancêtres y arrivaient, alors pourquoi pas nous ?

Aujourd'hui, on va commencer par le speedomètre. Pourquoi lui ? Je navigue en ce moment sur des bateaux de location, et cet appareil est souvent en panne, disons dans un bateau de location sur deux. S'il n'est pas en panne, il fournit des indications hautement fantaisistes, ce qui est encore pire si on décide de s'y fier aveuglément. On va commencer par voir comment s'en passer, et on verra ensuite comment faire pour le réparer dans la plupart des cas.

 1. tout d'abord, que mesure le speedomètre ? Cet appareil électrique mesure la vitesse du bateau par rapport à la surface de l'eau (vitesse surface). Bien sûr, rien à voir avec la vitesse du bateau sur le fond, car la surface de l'eau elle-même se déplace sous l'effet des courants (si vous voulez obtenir votre vitesse fond, une petite construction vectorielle sur la carte sera nécessaire pour tenir compte du courant).

 2. dans quelle unité ? Une vitesse, c'est le rapport entre une longueur et le temps qu'on met pour la parcourir. L'unité de vitesse en navigation est le nœud, qui correspond à un mille nautique (1852m ou 1' de latitude aux alentours du 45e parallèle) par heure. Abréviations : nd (nœud) ou kt, kts pour l'anglais knot.)

3. comment se débrouiller sans électricité ? Vous avez tous regardé des bulles ou des débris défiler le long de votre coque lorsque votre bateau avance. Les marins d'autrefois jetaient des bûchettes (log ou logboek en néerlandais = bûche) à l'avant du bateau. Un compère à l'arrière, équipé d'un sablier, retournait le sablier au passage de la première bûchette, puis donnait l'ordre de jeter une nouvelle bûchette chaque fois qu'il en voyait une passer devant lui. Connaissant la longueur du bateau L (en mètres), la durée d'écoulement T du sablier (en secondes) et le nombre N de bûchettes vues durant celle-ci (sans compter bien sûr la première), la formule V=NxL/T donne le nombre de mètres par seconde, ou, si on préfère avoir cette vitesse en milles par heure : V=(NxL/T)x(3600/1852).

 

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L'origine du « nœud ».

Vous pouvez vous amuser à remplacer les bûchettes par des cigarettes, je pense que ça doit marcher. Inconvénients : dès lors que l'on veut faire des mesures fréquentes, le stock de bois à bord doit être important, et le tabac finit par coûter cher si on le balance inconsidérément à la mer. Un marin doté du sens de l'économie a eu un jour l'idée de jeter non plus des bûchettes, mais une planchette (le « bateau ») lestée de manière à flotter sans être entraînée par son inertie. « La planchette était amarrée à un cordage comportant des nœuds régulièrement espacés qu'un marin comptait à haute voix au fur et à mesure qu'ils glissaient entre ses doigts. Le compte se faisait pendant le temps d'écoulement d'un sablier. Le nombre résultant, exprimé en nœuds, mesure donc une vitesse et non une longueur. Du fait des mesures anglo-saxonnes, on espaçait les nœuds de 47 pieds et 3 pouces (14,4 m) et on calibrait le sablier de manière à mesurer une période de 28 secondes » (source : Wikipédia).

Avec N représentant maintenant non plus un nombre de bûchettes mais le nombre des nœuds qui passent entre vos doigts durant l'écoulement du sablier de 28 secondes, vous obtenez V=Nx14,4/28, vitesse exprimée en mètres par seconde. Exprimée en milles par heure, la formule devient donc V=(Nx14,4/28)x(3500/1852)=N, nombre des nœuds filés entre vos doigts.

Pourquoi cela marche-t-il si bien ? Réponse : c'est fait pour ! En effet, si on veut calculer la distance parcourue en 28 secondes à la vitesse de 1852 m/h, on tombe sur 14,4m, distance choisie par les anglais pour espacer leurs nœuds.

Du log au loch, le pas était franchi, tout comme l'habitude de mesurer les vitesses en « nœuds ».

 

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Construction de votre loch à bateau de fortune.

Vous pouvez faire vous-même une jolie planchette traditionnelle, la découper en triangle, la lester, et prendre du filin (les photos de ce beau loch ont été prises lors d'un stage de navigation astronomique sur le Lola of Skagen, un côtre à gréément aurique skippé par un couple très sympathique). Problème : le stockage du filin dans une caissette, plus de 100m pour mesurer des vitesses jusqu'à 7 nœuds, et la tendance du filin... à faire des nœuds.

 Plus simple et plus rapide : prenez un bidon d'huile vide d'huile de moteur (enlevez toutes les traces d'huile et les étiquettes, il ne s'agit pas de polluer une mer qui l'est déjà bien assez). Baptisez le « bateau » pour l'occasion (on verra un autre jour qu'il servira sous un autre nom, j'aime bien les outils multifonction), et remplissez-le aux deux-tiers au moins  d'eau de mer : ca lui permettra de s'enfoncer un peu dans la mer et de dissiper ainsi son inertie. Prenez un filin solide (j'ai pris du 8mm flottant pour bouée orange, vendu 7,5 € par unité de 30m sur Navy-discount.fr), attachez-le à la poignée du bidon par un nœud de chaise, et laissez une longueur de filin suffisante avant de faire le premier nœud (j'ai laissé environ 7m, c'est un peu juste, une dizaine de mètres serait mieux. Cette longueur vous fournit le temps nécessaire pour ne pas être surpris par la rapidité avec laquelle le premier nœud arrive entre vos doigts une fois le « bateau » envoyé à la mer, vous allez voir, ça va très vite). Faites un second nœud 14,40m plus loin. Ca y est, votre « loch à bateau » perso est prêt.

Le loch_orin

Utilisation : vous le larguez le « bateau » avec la main tenant le filin, l'autre tenant le chronomètre. Vous déclenchez le chrono quand le premier nœud passe dans votre main, et le stoppez quand passe le second nœud (votre co-équipier peut aussi se charger du chrono, vous lui donnerez les « top » à chaque passage de nœud). Vous lisez sur le chrono le temps T (en secondes) écoulé entre le passage des deux nœuds. Votre vitesse en nœuds vous est donnée par la formule V = 28/T.

NB : j'ai choisi d'utiliser pour mon loch à bateau de fortune la distance de 14,40m et les 28 secondes du sablier des Anglais par référence à la marine traditionnelle. Si vous comptez comme moi du temps entre deux nœuds, la précision de votre résultat est proportionnelle à la longueur séparant ceux-ci. Bien sûr, vous pouvez augmenter la distance entre les nœuds en adaptant la formule. Le tout est toujours de savoir combien de fois 1852m vous passeraient entre les mains en une heure de temps...

Pour la petite histoire, une fois le loch à bateau traditionnel jeté à la mer, le sablier était renversé quand passait par dessus bord un repère matérialisé sur le filin par un morceau de tissu : la houache. Le premier nœud véritable était donc à 14,40m de la houache...

 

Les problèmes du speedomètre.

Le speedomètre est une petite hélice qui tourne librement, mue par la force de l'écoulement l'eau sous votre bateau. On mesure sa vitesse de rotation et on en déduit la vitesse du bateau. Si la mer était remplie d'eau distillée, il n'y aurait sans doute aucun problème. Le hic est qu'elle ne l'est pas, et plein de choses (algues, mollusques, saletés, etc.) viennent ralentir ou bloquer cette petite hélice. En toute bonne foi, l'afficheur indique alors des vitesses anormalement lentes, voire zéro nœuds alors que votre bateau avance très correctement. Si vous avez votre propre bateau, vous savez sûrement comment accéder à cette petite hélice (souvent par le plancher de la cabine avant). Si vous avez loué un bateau, ça fait partie des bricoles que vous découvrez en mer (lors du check-in du bateau dans la marina, le fait que le speedo affiche zéro ne paraît pas suspect au premier abord). La flemme de vous lancer dans le bricolage vous conduira peut-être alors à utiliser mon bidon... ou plus simplement une des applis de votre IPhone ou IPad (Compass 54 par exemple) qui vous donnera directement votre vitesse fond. Ph B.