Océan_Indien (auteur

Nous avons reçu ce message d'alerte de l'association Bloom, très engagée sur le sujet de la pêche. Bloom rappelle avec raison que la perte de la biodiversité marine n'est as un évènement anodin. La réduction à la famine des pêcheurs locaux débouche le plus souvent sur l'apparition d'une zone de violences et de' piraterie, comme cela a été le cas sur la côte de Somalie, et plus récemment sur les côtes du Sénégal et de la Mauritanie. 

Un Terrien moyen consomme aujourd'hui en moyenne deux fois plus de "produits de la mer" que l'océan ne peut en produire (environ trois fois plus s'il s'agit d'un Français). Autrement dit, avant de s'intéresser à une pêche durable, il faut s'intéresser à une consommation durable. Et remettre les choses dans leur contexte. Si l'on considère que les pêcheurs sont des tueurs (tueurs de poissons et de cétacés, mais des tueurs quand même), ce sont des tueurs à gage, dont, tout au bout de la chaîne, nous autres consommateurs sommes les commanditaires.

Certes, il est possible de plaider la cause auprès des industriels du thon - on voit le résultat.

Certes, il faut plaider la cause du thon après des gouvernements - on voit le résultat.

La solution ne passe plus par les industriels et les gouvernements, qui tous ont fait la preuve que leur avidité passait bien avant l'environnement et la sauvegarde de ce qui peut encore l'être au profit des générations futures. Cette sauvegarde passe aujourd'hui uniquement par le consommateur. S'il prend conscience en passant devant les cadavres des poissons étalés avec indécence dans les supermarchés qu'il s’agit là du cimetière de la mer, on aura déjà un peu avancé. S'il prend conscience qu'en achetant un des cadavres de poissons offerts sous ses yeux qu'il réduit à la famine des êtres humains à l'autre bout de la planète, ce sera mieux. S'il renonce à son achat en réalisant qu'il a la possibilité en se nourrissant autrement d'améliorer le sort de la vie sur terre, on aura résolu le problème de la surpêche.

Bonne lecture !

Philippe Bensimon

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"Vous ne pourrez plus regarder une boîte de thon comme avant  

Est-ce que vous associez une boîte de thon "Petit Navire" ou "Saupiquet" à la violence néocoloniale de la France en Afrique et dans l’océan Indien ? 

Non ? 

Vous devriez.

Les flottes de pêche française et espagnole se comportent d’une façon inacceptable dans les eaux bordant le continent africain. 

Notre directeur scientifique, Frédéric Le Manach, revient d’une réunion de la Commission thonière de l’océan Indien où BLOOM vient de recevoir, après des tentatives de blocages des industriels européens, le statut officiel d’Observateur. 

Ce que les industriels thoniers poursuivent comme but et emploient comme méthodes pour parvenir à leurs fins est abject. 

Ci-dessous, nous vous exposons les enjeux écologiques, humains et démocratiques liés à la présence des puissants industriels thoniers dans la région. La pêche au thon est un enjeu majeur de géopolitique. 

Si vous avez suivi notre série "TunaGate", vous savez déjà que l’Union européenne est le principal acteur de la pêche au thon dans l’océan Indien. Sinon, commençons par un bref rappel des faits.

Petit b.a.-ba de la pêche au thon

Les entreprises espagnoles et françaises capturent à elles seules plus d'un tiers du thon officiellement pêché dans l'océan Indien, toutes flottes confondues, et plus de la moitié des captures industrielles. Nous écrivons "officiellement" car les captures déclarées ne reflètent pas les volumes colossaux qui sont trafiqués au noir, les contrôles étant quasi-inexistants. La flotte européenne se compose d’une cinquantaine de navires en tout : 28 navires gigantesques, de plus de 80 m de long en moyenne et jusqu’à 116 m de long  pour le plus grand (la longueur du terrain du Stade de France à 3m près !), étoffée de 20 navires supplémentaires enregistrés dans d’autres pays, notamment aux Seychelles, un paradis fiscal notoire. 

Ces navires sont des monstres d’efficacité qui utilisent une technique de pêche redoutable : les "dispositifs de concentration de poissons" — les fameux "DCP" — des radeaux ultra technologiques sous lesquels s’agrègent les thons et d’autres animaux marins, capturés sans distinction. Le résultat est un carnage de raies, de requins et tortues, ainsi que de thons juvéniles. Les juvéniles, capturés avant même qu’ils n’aient eu le temps de se reproduire, forment 95% des prises de l’UE pour deux des trois espèces ciblées (ces deux espèces sont — sans aucune surprise — en état de surpêche) ! La flotte européenne abandonne ensuite le plus souvent ces DCP dérivants, qui deviennent de funestes radeaux de la mort, détruisant les coraux et la vie marine au gré des courants et finissent par couler ou s’échouer, polluant par milliers les plages, mangroves et récifs de l’océan Indien.  

Des pillards ex machina fabriqués par les subventions publiques  

La puissance de pêche des industriels européens s’est entièrement construite grâce à des subventions publiques substantielles. Près de 76 millions d’euros d'argent public ont été versés aux industriels pour construire les thoniers européens aujourd’hui présents dans l’océan Indien.

Par ailleurs, l’UE a établi des accords de pêche dès la fin des années 70 afin d'exporter la surcapacité de pêche colossale de sa propre flotte vers les eaux alors sous-exploitées des États d’Afrique. 

Ainsi commença le grand carnage

Ces accords injustes (le premier établi avec le Sénégal en 1979), eux aussi financés par les citoyens européens, n’ont jamais prévu de permettre aux pays du Sud de structurer des activités durables, écologiquement et socialement. Depuis 1986 et le premier accord signé dans l’océan Indien (avec Madagascar), nous avons ainsi versé près de 250 millions d’euros supplémentaires à quatre pays côtiers (les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles) pour laisser les industriels européens détruire leurs écosystèmes et piller les moyens de subsistance de la pêche artisanale locale.  

L’armada européenne dopée à l’argent public applique la même recette du désastre où qu’elle frappe : piller jusqu’à l’effondrement écologique, puis changer de zone.C’est ce que les industriels ont d’abord fait en Europe, puis en Afrique de l’Ouest dans les années 70, pour fondre ensuite sur l’Afrique de l’Est à partir des années 80. 

Les flottes industrielles européennes ont bon dos de critiquer les flottes chinoises : elles participent aux mêmes ravages.  

À quand le grand partage ? 

Le changement climatique touche plus sévèrement les économies précaires des pays du Sud que les pays développés du Nord. Dès 1990, les experts du climat réunis au sein du GIEC notaient que des millions de personnes seraient forcées de migrer en raison des conséquences du changement climatique sur l'élévation du niveau de la mer, l'érosion du littoral, les inondations côtières, les migrations de poissons, parmi d'autres perturbations socio-écologiques marines et terrestres. Mais il existe également des "facteurs non climatiques", telles que les politiques internationales et la gouvernance des biens communs. Les choix que nous faisons aujourd’hui, et surtout, tous ceux que nous ne faisons pas, affectent directement la capacité de résilience des pays du Sud face aux catastrophes naturelles.

Nos choix jouent un rôle primordial pour garantir un environnement social et économique stable aux populations du Sud. Le statu quo les condamne à un avenir de souffrances.

C’est inenvisageable. 

L’enjeu actuel majeur est donc celui d’une répartition plus équitable de l’accès aux ressources marines du Sud. Or depuis 2011, l’épineuse question de l’allocation des quotas divise en profondeur les États siégeant à la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI) :  

  • D'un côté, l’Union européenne considère que tout ce que ses navires de pêche ont capturé, historiquement, grâce à l’avantage des subventions européennes, leur appartient pour TOUJOURS.  
  • À l’inverse, les pays côtiers défendent que les captures ayant eu lieu dans leurs eaux par le passé devraient leur revenir aujourd’hui.  

Actuellement, la situation est bloquée : les industriels européens ne veulent pas entendre parler de partage de richesses avec le Sud. Les négociateurs européens au sein de la CTOI laissent peu de poids aux pays côtiers, qui subissent des pratiques d'intimidation, de chantage et de conflits d'intérêts flagrants, comme documenté dans notre rapport "Les lobbies thoniers font la loi"

Au-delà des considérations élémentaires d’équité, le mode opératoire des industriels et des fonctionnaires européens a des répercussions bien tangibles dans les pays côtiers d’Afrique : ce pillage crée les conditions propices à l’aggravation de la pauvreté, des famines, et de l’instabilité politique, favorisant des migrations massives et plus encore de tragédies humaines. 

Lutter contre la destruction là où elle se décide  

L’opacité est une alliée redoutable des défenseurs des intérêts privés. Pour contrecarrer les décideurs de l’ombre et redonner de la place aux contre-pouvoirs dans les instances de négociations, BLOOM a obtenu non sans mal le statut d’Observateur au sein de la CTOI.  

En effet, les industriels européens se sont mobilisés pour nous empêcher d’approcher de trop près ce lieu stratégique où l’Union Européenne déploie des stratégies de lobbying féroces pour maintenir ses avantages. Nous assisterons à présent aux négociations ainsi qu'à tout ce qu’il se passe autour, car des décisions cruciales pour la région sont souvent prises par une poignée d’acteurs européens toxiques, en dehors des espaces de délibération officiels.  "

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Carte : Fond de carte francisé provenant de la CIA : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/xo.html archive copy (auteur/author : Bra).