Philippe Bensimon devant Santorin 25 décembre 2017

Lundi 23 novembre au soir, près de 500 migrants ont installé leurs tentes pour un camp éphémère Place de la République à Paris, à l'appel d'ONG telles qu'Utopia 56, Médecins sans frontières (MSF), et Solidarité migrants Wilson. L'opération visait à réclamer au gouvernement une solution d'hébergement pour des centaines de migrants. Selon Le Parisien, l'opération de police qui a suivi a vu des migrants éjectés avec violence de leurs tentes, des élus et des journalistes malmenés dans un nuage de gaz lacrymogène. Selon une journaliste d'Antenne 2, la police a traîné certains migrants et leurs tentes sur plusieurs mètres pour les déloger, et on voit sur des vidéos des policiers frappant à coups de matraques des migrants n'offrant pourtant aucune résistance. Tous ces gens se sont retrouvés lundi soir dehors, sans solution de logement, dans une nuit glaciale. Le ministre de l'intérieur Gerard Darmanin a déclaré : « Certaines images (…) sont choquantes ». (source : A2, JT, 24/11/2020, 13h05). La loi sur la sécurité globale a été votée après-midi par l'Assemblée nationale (cf infra), de manière à décourager les journalistes et les vidéastes amateurs de révéler les violences policières. Ce type de loi aurait été particulièrement utile aux USA, où elle aurait mis ces dernières années à l'abri de nombreux policiers auteurs de meurtres sur des manifestants, ou sur des personnes simplement interpellées. En France, elle donnera encore plus de liberté aux policiers, qui n'auront plus la crainte d'être filmés dans leurs actions et de voir leur identité révélée. 

Durcissement de la politique

Par 388 voix pour, 104 voix contre et 66 abstentions. L’Assemblée nationale a approuvé ce mardi 24 novembre la proposition de loi relative à la sécurité globale. La chambre basse du Parlement valide donc le très controversé article 24 du texte, qui punit la diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre. Diverses autres dispositions ont aussi été validées, dont l’usage des drones à des fins d’observation, l’assouplissement de l’emploi des caméras piéton et de la vidéo surveillance, ou bien le port d’arme hors service (source : https://www.numerama.com/politique/671086-lassemblee-nationale-adopte-la-loi-sur-la-securite-globale-et-son-article-24-et-maintenant.html). Orwell n'aurait pas dit mieux.

Pour revenir aux migrants, la phrase du ministre de l'intérieur est révélatrice : ce sont les images des violences faites aux migrants qui le choquent, pas les faits. Que ce soit en Italie, dont le gouvernement bloque depuis quatre mois l'action de SOS Méditerranée (« Depuis le 22 juillet, nos équipes travaillent sans relâche pour libérer l’Ocean Viking, animées par la volonté de continuer à sauver des vies en Méditerranée centrale où l’urgence demeure. La semaine dernière, au moins 100 personnes sont mortes noyées en moins de 72 heures au cours de quatre naufrages distincts, loin des regards. » (communiqué de SOS Méditerranée, 11 novembre 2020) ou en France, où le président Macron s'est déplacé jusqu'à la frontière espagnole pour annoncer un durcissement de sa politique en faisant un lien inapproprié et dangereux entre migrants et terrorisme.

Migration/terrorisme : un lien inapproprié et dangereux

« Mardi 10 novembre, un mini-sommet européen virtuel s’est tenu pour muscler la réponse au terrorisme, après les récents attentats en France et en Autriche. Il a notamment été question de renforcer les contrôles aux frontières. « Il est urgent et crucial de savoir qui entre et qui sort », a défendu la chancelière allemande, Angela Merkel. « Nous avons des milliers de combattants terroristes étrangers qui ont soit survécu aux combats en Syrie, en Irak (…) et sont revenus, soit qui n’ont pas pu partir parce qu’ils ont été arrêtés. (…) Ce sont des bombes à retardement », a averti le chancelier autrichien, Sebastian Kurz. Emmanuel Macron a, quant à lui, dénoncé « le dévoiement du droit d’asile »(source :https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/12/le-lien-entre-terrorisme-et-immigration-a-l-epreuve-des-faits_6059461_3224.html). Un peu plus loin, le journaliste du Monde cite : « « Le problème de l’immigration et son contrôle doit être posé », a réagi sur RTL, le 30 octobre, le président du parti Les Républicains, Christian Jacob. « Le lien entre terrorisme et immigration est évident », avait aussi affirmé, le 17 octobre, Thierry Mariani, député européen du Rassemblement national (RN). Une idée largement rebattue par la présidente du RN, Marine Le Pen, depuis plusieurs années. Au sein du gouvernement, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a multiplié ces dernières semaines les visites en Tunisie, au Maroc ou en Algérie, pour obtenir des autorités de ces pays qu’elles reprennent certains de leurs ressortissants en situation irrégulière et soupçonnés de radicalisation. Tandis que M. Macron, en déplacement le 5 novembre à la frontière franco-espagnole, a annoncé un renforcement des contrôles. « Il ne faut en rien confondre la lutte contre l’immigration clandestine et le terrorisme, mais il nous faut regarder lucidement les liens qui existent entre ces deux phénomènes », a dit de nouveau le chef de l’Etat mardi. ».

Or, ces discours ne reposent sur rien, et les statistiques montrent que ce lien n'existe pas. « De fait, les terroristes islamistes en France et en Belgique ne sont généralement pas des migrants. C’est un fait très vite établi, une fois connue leur identité. Ils sont essentiellement de nationalité française ou belge. Le seul migrant intervenant dans les attentats de janvier 2015, par exemple, est au contraire un héros : c’est l’employé qui a sauvé des clients enfermés dans l’Hyper Cacher rappelle Philippe Fargues. Plus tard, des individus venus de Syrie se sont glissés parmi les réfugiés – propres victimes de leurs violences en amont – transitant par la Grèce et l’Europe centrale, mais avec des passeports trafiqués. Par ailleurs, une étude statistique est mobilisée, avec toute la rigueur nécessaire. Elle souligne une corrélation entre les pays receveurs de migrants provenant de zones sensibles et les occurrences de terrorisme chez leurs hôtes. Mais la migration s’avère aussi, de la même façon, être un facteur de réduction proportionnelle de telles violences, par sa propagation d’effets bénéfiques, naturellement pacificateurs. » (source : Jean-Baptiste Meyer, directeur de recherche, laboratoire Population environnement développement (LPED), Aix-Marseille Université et Institut de recherche pour le développement (IRD), « Le lien entre migration et terrorisme », Hommes & migrations, 1315 | 2016, 49-57.).

Discours populiste et perte des libertés individuelles

Le discours actuel des politiciens cités plus haut est donc un discours volontairement biaisé, tronqué et trompeur. Il est destiné à établir dans la population un sentiment d'insécurité vis à vis des migrants, et ce dans une optique purement électorale visant à rallier à leur cause des électeurs d'extrême droite.

L'assimilation migration/terrorisme, que Meyer qualifie de « lien dangereux », sert aussi de support à un véritable « coup de bélier » porté aux libertés publiques et à la liberté de penser, par le biais des lois « sécurité globale » portant atteinte à la liberté de la presse et de façon plus générale à la libre circulation de l'information, et surtout de la loi sur le séparatisme, rebaptisée « projet de loi confortant les principes républicains ». Loin de conforter les principes républicains, ses 57 articles servent à renforcer le contrôle des associations, des cultes, des établissements scolaires et réformer, à la marge, la loi de 1905.

Il porte notamment atteinte à liberté de penser, à la séparation de l'Eglise de de l'Etat, et à la liberté de l'enseignement. Il vise notamment l'enseignement à domicile : « Le texte prévoit le basculement d’une obligation d’instruction – qui jusqu’ici pouvait se faire dans la famille – vers une obligation de scolarisation, de 3 à 16 ans, dans un établissement scolaire, public ou privé. Le gouvernement part du constat que « l’école à la maison » cache parfois la participation à des cours collectifs, plus ou moins formels, au sein de structures non déclarées. Des écoles « clandestines » qui ne séparent pas toujours clairement enseignement religieux et enseignement scolaire. Plus largement, il estime que ce mode d’instruction risque d’exposer l’enfant aux valeurs exclusives de la famille, potentiellement en rupture avec celles de la République. » (source : https://www.la-croix.com/France/Separatisme-changer-loi-2020-11-18-1201125366). Ceci remet en question les possibilités de voyage en mer de longue durée des familles dont les enfants sont enseignés à bord avec l'appui du Cned, et de façon plus générale la liberté de recevoir un enseignement autre que le formatage de masse mis en place et contrôlé par l'Etat. Plus de 50.000 familles françaises se trouvent ainsi dans le collimateur du gouvernement français, alors même que les résultats obtenus par l'enseignement familial avec l'appui du Cned sont supérieurs à ceux obtenus dans les cursus scolaires classiques.

Incitation à la méfiance vis à vis des migrants : le gouvernement met en place les conditions d'un avenir de violences urbaines dans un contexte de réchauffement climatique

Le problème se pose aujourd'hui de savoir jusqu'où peut aller un gouvernement dressant une partie de la population contre une autre dans le but d'assurer sa réélection, et quelles seront les conséquences sur le long terme de ce type de politique. Il est clair que dans une optique de réchauffement climatique et de vagues migratoires très importantes à venir allant dans notre hémisphère du sud vers le nord, les discours trompeurs et xénophobes des dirigeants français vont être pris comme une incitation à la méfiance vis-à-vis des migrants, voire à la violence et à la haine raciale. Sur le long terme, le gouvernement français est en train de créer les conditions d'un repli communautariste inévitable, considéré comme la seule échappatoire pour des populations rejetées d'une part par un gouvernement ne respectant pas leurs droits constitutionnels, et d'autre part par des populations auxquelles on aura appris à se méfier des « étrangers ». Ce repli s'accompagnera inéluctablement de violences urbaines. Ces violences seront la fois civiles et policières, lorsque les policiers, se sentant investis de tous les droits face à des populations de migrants n'en n'ayant plus aucun, n'auront plus aucune retenue à faire usage de la force. Je forme des vœux pour que nous n'en arrivions pas là, mais la situation semble se dégrader de jour en jour. Force est de constater que nous nous éloignons chaque jour un peu plus d'une libre circulation des migrants aux frontières – condition indispensable à la disparition du massacre qui a lieu actuellement en Méditerranée – et d'une valorisation de l'accueil des migrants.

Philippe Bensimon

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Monday evening, nearly 500 migrants set up their tents for an ephemeral camp Place de la République in Paris, at the call of NGOs such as Utopia 56, Médecins sans frontières (MSF), and Solidarité migrants Wilson. The operation aimed to demand from the government a housing solution for hundreds of migrants. According to Le Parisien, the police operation that followed saw migrants violently ejected from their tents, elected officials and journalists manhandled in a cloud of tear gas. According to a journalist from Antenne 2, the police dragged some migrants and their tents for several meters to dislodge them, and we see on videos of the police beating with batons migrants yet offering no resistance. All these people found themselves outside on Monday evening, without a housing solution, on a freezing night. Interior Minister Gerard Darmanin said: “Some images (…) are shocking”. (source: A2, JT, 24/11/2020, 1:05 p.m.). The law on comprehensive security was voted in the afternoon by the National Assembly (see below), so as to discourage journalists and amateur videographers from revealing police violence. This type of law would have been particularly useful in the United States, where it would have sheltered in recent years many police officers responsible for murders on demonstrators, or on people simply arrested. In France, it will give even more freedom to the police, who will no longer have the fear of being filmed in their actions and of seeing their identity revealed.

Policy toughening

By 388 votes in favor, 104 against and 66 abstentions. The National Assembly on Tuesday 24 November approved the bill on comprehensive security. The lower house of Parliament therefore validates the controversial article 24 of the text, which punishes the malicious dissemination of images of law enforcement agencies. Various other provisions have also been validated, including the use of drones for observation purposes, the relaxation of the use of pedestrian cameras and video surveillance, or the carrying of a weapon out of service (source: https : //www.numerama.com/politique/671086-lassemblee-nationale-adopte-la-loi-sur-la-securite-globale-et-son-article-24-et-maintenant.html). Orwell couldn't have said it better.

To come back to migrants, the Minister of the Interior's sentence is revealing: it is the images of violence against migrants that shock him, not the facts. Whether in Italy, where the government has been blocking the action of SOS Méditerranée for four months (“Since July 22, our teams have been working tirelessly to liberate the Ocean Viking, driven by the desire to continue saving lives in the Mediterranean plant where the emergency remains. Last week, at least 100 people drowned in less than 72 hours during four separate shipwrecks, out of sight. ”(SOS Méditerranée press release, November 11, 2020) or in France, where President Macron traveled to the Spanish border to announce a hardening of his policy by making an inappropriate and dangerous link between migrants and terrorism.

Migration / terrorism: an inappropriate and dangerous link

“On Tuesday 10 November, a virtual European mini-summit was held to beef up the response to terrorism, after the recent attacks in France and Austria. In particular, it was a question of strengthening border controls. "It is urgent and crucial to know who comes in and who leaves", defended German Chancellor Angela Merkel. “We have thousands of foreign terrorist fighters who either survived the fighting in Syria, Iraq (…) and came back, or who couldn't leave because they were arrested. (…) These are time bombs ”, warned Austrian Chancellor Sebastian Kurz. Emmanuel Macron, for his part, denounced "the misuse of the right of asylum". (source: https: //www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/12/le-lien-entre-terrorisme-et-immigration-a-l-eeuve-des-faits_6059461_3224.html). A little further, the journalist from Le Monde quotes: "" The problem of immigration and its control must be posed ", reacted on RTL, on October 30, the president of the party Les Républicains, Christian Jacob. "The link between terrorism and immigration is obvious", also affirmed, on October 17, Thierry Mariani, MEP of the National Assembly (RN). An idea widely rebutted by the president of the RN, Marine Le Pen, for several years. Within the government, the Minister of the Interior, Gérald Darmanin, in recent weeks has increased visits to Tunisia, Morocco and Algeria, to get the authorities of these countries to take back some of their nationals in an irregular situation and suspected of radicalization. While Mr. Macron, traveling on November 5 at the Franco-Spanish border, announced a strengthening of controls. "We must in no way confuse the fight against illegal immigration and terrorism, but we must look lucidly at the links that exist between these two phenomena," the head of state said again on Tuesday. ".

However, these speeches are based on nothing, and statistics show that this link does not exist. “In fact, Islamist terrorists in France and Belgium are generally not migrants. This is very quickly established, once their identity is known. They are mainly of French or Belgian nationality. The only migrant involved in the January 2015 attacks, for example, is on the contrary a hero: it is the employee who saved clients locked up in the Hyper Cacher recalls Philippe Fargues. Later, individuals from Syria crept among the refugees - their own victims of their violence upstream - passing through Greece and central Europe, but with doctored passports. In addition, a statistical study is mobilized, with all the necessary rigor. It underlines a correlation between the countries receiving migrants from sensitive areas and the occurrences of terrorism among their hosts. But migration also turns out to be a factor in the proportional reduction of such violence, by its propagation of beneficial, naturally pacifying effects. "(Source: Jean-Baptiste Meyer, research director, Population environment development laboratory (LPED), Aix-Marseille University and Research Institute for Development (IRD)," The link between migration and terrorism ", Hommes & migrations, 1315 | 2016, 49-57.).

Populist discourse and loss of individual freedoms

The current speech of the politicians quoted above is a deliberately biased, truncated and misleading speech. It is intended to establish in the population a feeling of insecurity vis-à-vis migrants, and this with a purely electoral perspective aimed at rallying far-right voters to their cause.

Migration / terrorism assimilation, which Meyer qualifies as a “dangerous link”, also serves as a support for a real “water hammer” to public freedoms and freedom of thought, through “global security” laws that undermine to the freedom of the press and more generally to the free flow of information, and especially the law on separatism, renamed “bill consolidating republican principles”. Far from reinforcing the republican principles, its 57 articles serve to reinforce the control of associations, cults, schools and to reform, at the margin, the law of 1905.

In particular, it violates freedom of thought, the separation of Church from State, and freedom of education. It targets in particular home education: "The text provides for the shift from an obligation of education - which until now could be done in the family - to an obligation of schooling, from 3 to 16 years, in a school establishment. , public or private. The government starts from the observation that "home schooling" sometimes hides participation in group lessons, more or less formal, within undeclared structures. “Clandestine” schools which do not always clearly separate religious education and school education. More broadly, he believes that this mode of instruction risks exposing the child to the exclusive values ​​of the family, potentially at odds with those of the Republic. "(Source: https://www.la-croix.com/France/Separatisme-changer-loi-2020-11-18-1201125366). This calls into question the possibilities of long-term sea travel for families whose children are taught on board with the support of the Cned, and more generally the freedom to receive instruction other than the mass formatting implemented and state controlled. More than 50,000 French families are thus in the crosshairs of the French government, even though the results obtained by family education with the support of the Cned are superior to those obtained in traditional school courses.

Incitement to mistrust of migrants: the government is putting in place the conditions for a future of urban violence in a global warming context

The problem now arises of knowing how far a government can go by pitting one part of the population against another in order to ensure its re-election, and what the long-term consequences of this type of policy will be. It is clear that with a view to global warming and very significant migratory waves going in our hemisphere from the south to the north, the deceptive and xenophobic speeches of the French leaders will be taken as an incitement to mistrust vis-à-vis migrants. , even violence and racial hatred. In the long term, the French government is creating the conditions for an inevitable communitarian withdrawal, considered the only way out for populations rejected on the one hand by a government that does not respect their constitutional rights, and on the other hand by populations which we have learned to be wary of "foreigners". This decline will inevitably be accompanied by urban violence. This violence will be both civil and police, when the police, feeling vested with all rights in the face of populations of migrants who no longer have any, will no longer have any restraint in using force. I wish we don't come to this, but the situation seems to be deteriorating day by day. It is clear that we are moving a little further away each day from the free movement of migrants at borders - an essential condition for the disappearance of the massacre currently taking place in the Mediterranean - and from enhancing the reception of migrants.

Philippe Bensimon